Marie-Claire Jacob, née Huerre, résistante et déportée, une des dernières 27.000, s’en est allée le 14 mai 2024.
Le 24 septembre 1943, Marie-Claire Huerre est dans un train entre Saint-Malo et Rennes, avec sa sœur Odile (1916-2010). En face d’elles, dans le compartiment, un jeune homme d’une vingtaine d’années, bien mis et semblant sortir d’un milieu aisé, se met à lire la revue Signal, le tristement célèbre journal nazi de propagande. Il leur montre alors des photos des dégâts provoqués par les bombardements alliés sur Nantes en leur disant « voyez, c’est l’œuvre des Gaullistes, des assassins de la France ». Aussitôt Odile répond « cela vaut mieux que d’être Boche », le ton monte rapidement, le jeune homme se revendique de la LVF (Légion des volontaires français contre le bolchévisme), Marie-Claire lui demande de se taire, il la menace, puis déclare qu’il est fils d’officier français et qu’il le regrette bien, à quoi Marie-Claire réplique « eh bien, moi je suis fille d’officier français et fière de l’être, n’oubliez pas qu’il y a 13 ans nous étions en Allemagne [en Rhénanie] et on ne sait pas comment la guerre finira ». Arrivées à Rennes, les deux sœurs tentent de sortir de la gare, mais elles sont arrêtées par le jeune LVF (qui a requis un Feldgendarme) et emmenées à la Kommandantur. Ensuite, ce sera la prison de Rennes, Romainville et enfin Compiègne. Le 31 janvier 1944, Marie-Claire et Odile sont déportées dans ce fameux convoi dit des 27.000, devenant respectivement les matricules 27.177 et 27.720. Leur crime est simplement « l’expression de sentiments antiallemands ». Pour l’occupant, en effet, l’utilisation de ce motif de déportation s’accentue nettement dans le 2e semestre 1943, s’inscrivant dans une pratique de Schutzhaft (détention de sécurité), comme le montre Pierre-Emmanuel Dufayel, dans son livre Un convoi de femmes (Vendémiaire, 2012), consacré au convoi des 27.000.
À Ravensbrück, Marie-Claire ne se trouve pas dans le même block que sa sœur qu’elle ne fait que croiser parfois, avant d’être envoyée dans les Sudètes, à Holleischen (aujourd’hui Holýšov en Tchéquie), tandis qu’Odile part pour Hannovre-Limmer, puis Bergen-Belsen. Le Kommando d’Holleischen est une usine d’armement Skoda et là, Marie-Claire va véritablement entrer en Résistance en prenant une part active (malgré les risques) aux sabotages. Dans le chapitre Sabotage, du livre Ravensbrück (Les Cahiers du Rhône, n° 20, La Baconnière, 1946), Anne Fernier (27399) parle de « la rieuse Marie-Claire », qui après que la machine sur laquelle elles travaillent toutes deux, s’est arrêtée 145 fois, écrit à la craie « 145 fois kapout !». Marie-Claire la rieuse, dites aussi Clairon, se souvenait aussi des machines portant la marque Bördel, dont on oubliait de lire l’Umlaut et aussi que les Meister leur disaient ce qu’il ne fallait pas faire en travaillant sur les machines, ce que les déportées s’empressaient de faire, dès que ceux-ci avaient tourné le dos. Après son retour, le père de Marie-Claire lui dira de prendre garde à ne pas évoquer que des souvenirs gais au risque de donner l’impression d’avoir été en colonie de vacances et bien entendu, elle n’oublia pas non plus les moments tragiques à Holleischen.
Le 5 mai 1945, des partisans polonais libèrent le camp. Comme souvent, le retour en France est chaotique mais le 25 mai au matin, Marie-Claire est à Paris. Elle ignore si ses parents sont à Quintin (à côté de Saint-Brieuc, en Bretagne) ou à Paris. Elle a l’intuition qu’ils sont dans la capitale, rue de Petrograd et c’est son père qui lui ouvre la porte lorsqu’elle sonne. Le même jour dans la soirée, c’est Odile qui arrive, rapatriée de Bergen-Belsen. Ainsi ces deux femmes, arrêtées en même temps, déportées en même temps, rentrent en même temps, de deux lieux différents, à quelques heures près.
En mars 1946, Marie-Claire et Odile passeront un mois ensemble en Suisse, au chalet Rosemont à Villars-sur-Ollon, un des 9 lieux de convalescence mis en place par l’ADIR et son comité d’aide en Suisse.
En 1952, Marie-Claire épouse Pierre Jacob (1919-2007). Ils auront 2 enfants, Pierre-Henry en 1953 et Anne en 1955.
Eric Monnier & Brigitte Exchaquet-Monnier, auteurs de Retour à la vie : l’accueil en Suisse romande d’anciennes déportées françaises de la Résistance (1945-1947),Alphil, 2013
5 octobre 1924, naissance à Mayence (Allemagne) où son père est officier des troupes d’occupation françaises jusqu’à la fin de celle-ci en 1930.
24 septembre 1943, arrestation à Rennes.
31 janvier 1944, déportation à Ravensbrück.
5 mai 1945, libération du Kommando d’Holleischen.
25 mai 1945, retour à Paris, chez ses parents.
14 mai 2024, décès à Paris.
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