Je m’appelle Alain Hobé. Je suis le petit-fils de Paul Gaubin, résistant déporté, matricule 40961. Mon grand-père était membre du réseau Mithridate, entré dans la résistance à compter du 1er mars 1943, chef de secteur dans la région de Clermont Ferrand. Il a été arrêté le 16 octobre de cette même année, suite à la trahison d’un membre du réseau. Emprisonné, vraisemblablement torturé comme ses compagnes et compagnons d’infortune, il a été transféré début janvier au camp de Royallieu-Compiègne. Il a fait partie du convoi du 17 janvier 1944 à destination de Buchenwald, avant de rejoindre Dora le 10 février. Le 26 mars, à bout de forces, il a été évacué vers Bergen-Belsen avec des centaines de camarades inaptes à poursuivre le travail dans le bagne souterrain de Kohnstein. C’est dans ce nouveau lieu de souffrances qu’il a trouvé la mort le 5 avril. Ses cendres ont été dispersées dans les parages du crématorium du camp.

Je suis parti sur ses traces. En Allemagne d’abord, dans son village natal où la rue principale porte son nom et où la maison familiale a servi de refuge à une famille juive persécutée ainsi qu’à au moins un membre des services secrets britanniques. J’ai fait ce voyage d’Allemagne en octobre 2018. J’en suis revenu très impressionné, notamment par mon passage à Bergen-Belsen. Ce que j’ai pu rencontrer de mon grand-père disparu, ces fameuses traces, ce qui est uniquement resté de lui en dehors de quelques rares photos d’avant-guerre et de ses derniers mots inscrits à la main sur la carte d’admission à Buchenwald, c’est à chaque fois son nom. Sur des listes des archives des camps, sur le mur des noms de Royallieu, dans l’annuaire des déportés de Dora, dans le livre des morts de Bergen-Belsen. Mais aussi sur le monument aux morts, sur les plaques de rue, sur l’objet funéraire déposé par sa sœur et découvert sur une tombe ignorée jusque-là dans le petit cimetière du village. Son nom parmi ceux des nazis, de la complicité collaborationniste et de la guerre en sa totalité destructrice.

J’ai tenu moi aussi à tracer les noms des déportés comme pour les rapporter non pas seulement à mon histoire mais aussi à mon époque, à notre temps. J’ai tenu à inscrire de ma main les noms de ceux qui sont parti ce 17 janvier 1944 pour ne pas revenir ou ne jamais revenir complétement : comme l’ont écrit ou fait entendre les rescapés de l’enfer, revenus d’entre les morts, une part d’eux-mêmes est demeurée dans les lieux de la déportation. J’ai voulu marquer ces traces au hasard du papier comme au hasard de la vie, non pas exactement comme un hommage mais comme une affirmation de la présence commune des naufragés et des rescapés tenus serrés dans la tragique égalité du silence des noms.

Ce travail est dédicacé à Denis Meis dont le père, Clément Meis, a été arrêté le même jour que mon grand-père et détenu dans la même cellule que lui, au sein de la prison du 92 à Clermont, avant qu’ils ne fassent ensemble le parcours de Clermont à Compiègne puis de Compiègne à Buchenwald où leurs chemins se sont séparés, pour toujours.

                                                                                                           Alain Hobé, novembre 2021