L’industrie électrique prépondérante pour la production d’armement allemande avait l’un de ses centres traditionnels à Berlin. Les trusts électriques étaient si lourdement frappés par les attaques aériennes toujours plus nombreuses que le ministère de l’armement ordonna à partir de 1943 le transfert et désigna dans ce but un mandataire. De nombreuses entreprises furent déplacées dans des régions soi-disant moins exposées, comme la Saxe ou les Sudètes, souvent dans des entreprises textiles fermées. Dans les usines déplacées beaucoup employaient des déportés de camp de concentration en plus du personnel allemand d’origine en nombre réduit et des travailleurs civils étrangers du travail obligatoire. Dans les camps annexes du camp de concentration de Flossenbürg, Graslitz, Zwodau, Plauen, Wolkenburg et Mittweida des déportées devaient travailler pour des firmes électriques berlinoises déplacées.
La société C. Lorenz de Berlin-Tempelhof avait déplacé depuis 1943 sa production, entre autres, dans deux usines en Saxe à Mittweida. Dans une filature de coton fermée au bord de la Schweizerwald 1500 hommes, travailleurs civils, devaient travailler dans la« préfabrication de matériel de communication au sol et en vol ».1 Pour l’usine de filature Weissthaler dans la Bahnhofstrasse, 500 « travailleuses venant de l’est » furent d’abord prévues. Elles ne devaient pas être logées avec les hommes, pour raccourcir le trajet et à cause « éventuellement d’inconvénients d’ordre moral »2 mais dans cinq baraquements à proximité immédiate de la filature Weissthaler. D’après les dires d’un contremaître il y avait aussi des travailleuses civiles russes ou ukrainiennes embauchées au titre du travail obligatoire dans les deux secteurs de l’usine à la production de noyaux de fer et de parties en matière plastique qui, toutefois furent déplacées au cours de l’année 1944 dans une autre branche de l’usine Lorenz.3 A leur place, des déportées de camp de concentration durent travailler à Mittweida à partir de septembre 1944 pour la société Lorenz.
Un convoi de 500 femmes en provenance d’Auschwitz sur Mittweida est inscrit dans les registres de matricules de Flossenbürg en date du 9 octobre 1944.4 Trois cinquièmes des femmes arrivaient d’Union Soviétique, au moins 155 de Pologne, 23 d’Italie, huit de Yougoslavie, deux de Croatie et une d’Allemagne. La plupart étaient à Mittweida pour le travail obligatoire, mais nombreuses étaient celles « en détention préventive politique ». Il apparaît d’après les recommandations de la kommandantur de Flossenbürg à la société C. Lorenz que le 13 octobre 1944 devait être le premier jour de travail. Jusqu’à la fin de l’année, la main d’œuvre quotidienne passa de 500 à environ 460.5
D’après des témoignages concordants, les femmes étaient logées tout près de l’usine dans un bâtiment, dont elles sortaient escortées pour aller au travail par un chemin aménagé tout exprès et bordé de barbelés, d’après les dires du fils du contremaître.6 Beaucoup de femmes parlent de l’extrême exiguïté de l’hébergement dans deux baraquements à peine chauffés, d’autres baraquements sur le terrain entouré de barbelés seraient restés vides ou auraient été occupés par les gardiens. Des miradors protégeaient aussi le camp extérieur. La nourriture était très insuffisante : pour le petit déjeuner il n’y avait qu’un café pas fort du tout, le midi une soupe à l’eau et le soir un morcea de pain avec de la margarine et à l’occasion un petit morceau de saucisse. Les femmes devaient travailler à l’usine en deux équipes de chacune douze heures, et pour plus de la moitié d’entre elles, embauchées comme ouvrières non qualifiées, même le dimanche. Les femmes travaillaient au rez de chaussée dans l’atelier de production, où elles devaient percer des trous dans des plaques de métal ou bien fabriquer des pièces en résine synthétique. A l’étage se trouvait le laboratoire et le banc d’essai de l’usine ; au dernier, suivant les besoins du directeur du laboratoire, 30 déportées environ étaient aussi employées.7 Lors des attaques aériennes toutes les déportées en train de travailler étaient enfermés dans les locaux de l’usine.
Les brimades de la garde SS aggravèrent les conditions de travail déjà difficiles et la situation alimentaire lamentable. Plusieurs femmes racontent ainsi que durant les attaques aériennes des Alliés ou après de mauvaises nouvelles du front elles devaient sortir pour un appel punitif.8 Il est également question très souvent de coups portés par la brutale surveillante en chef. Le chef du kommando du camp annexe de Mittweida fut d’abord le SS-Oberscharführer Teichmann, qui est dépeint par toutes les détenues comme un Monsieur assez âgé et correct. Il fut démis de ses fonctions, certainement à cause de la tentative d’évasion d’une Russe en décembre 1944, et remplacé par le SS-Oberscharführer Adolf Nies. Au bout de trois jours, la femme fut reprise, gravement brutalisée, mais pas assassinée. Déjà auparavant trois déportées polonaises avaient essayé de fuir, mais on ignore ce qu’il leur est arrivé ensuite.
Après un long service dans le camp principal de Flossenbürg, Adolf Nies fut d’abord chef de kommando dans le camp annexe de Bayreuth, où il fut révoqué suite, là aussi, à la tentative d’évasion d’un détenu. On ne sait pas bien si la nomination de Nies à Mittweida représentait une sorte d’épreuve. Néanmoins, il est décrit comme brutal de façon unanime par les femmes. Il n’est mentionné aucune tentative d’évasion pendant la période où il fut en fonction, si ce n’est le transfert d’une Polonaise à Flossenbürg pour une détention d’une semaine. En 1955, Nies fut condamné par la cour d’assises de Weiden à deux ans de détention pour crimes au camp principal de Flossenbürg.
Les hommes de garde SS étaient en partie originaires de Yougoslavie ; une liste parle de neuf gardiens pour novembre 1944.9 En outre, il y avait entre 23 et 27 surveillantes dans le camp annexe, qui avaient auparavant travaillé chez Lorenz ; sous prétexte d’obligations de services analogues elles furent embauchées. Après un stage à Flossenbürg, elles furent détachées à Mittweida. Quelques surveillantes purgèrent après la guerre de longues peines de détention dans la zone d’occupation soviétique, très exactement en RDA.10 On ne sait pas combien de détenues moururent à Mittweida. Le mauvais état de santé des femmes est montré par la baisse du nombre de travailleuses mais aussi par l’arrivée d’une détenue polonaise médecin en provenance du camp annexe de Neurohlau en janvier 1945. Deux décès seulement sont transcrits dans les registres de matricules, l’un en novembre 1944, l’autre en avril 1945. Deux Polonaises furent transférées de Mittweida à Ravensbrück le 13 février 1945 ; l’une était enceinte de sept mois, l’autre était arrivée avec son nouveau-né.11 Deux autres transferts à Ravensbrück sont mentionnés dans les registres de matricules sans mention explicative. La seule prisonnière allemande fut libérée en février 1945. Le dernier rapport d’effectif du 13 avril 1945 mentionne 495 déportées. Mais d’après des témoignages de femmes comme de membres allemands du personnel de l’usine, d’autres déportées furent tuées particulièrement dans la période de l’évacuation du camp. Jusqu’à aujourd’hui, on ne connaît pas le nombre exact des femmes assassinées durant les marches de la mort.
A la mi-avril, le camp annexe de Mittweida fut visiblement évacué précipitamment. Les membres du personnel de l’usine ne furent soi-disant pas informés du départ des femmes et trouvèrent après l’évacuation un ou plusieurs cadavres. Les femmes durent aller à pied par Hainichen à Freiberg, d’où elles furent transportées dans des wagons ouverts par le train en direction de la frontière tchèque. En cours de route, de plus en plus de déportées venant de camps annexes dissous seraient venues grossir les rangs. Beaucoup d’anciennes déportées parlèrent plus tard d’exécutions de femmes affaiblies lors de ce convoi de la mort, lors duquel leur nombre baissa énormément. Dans les environs de Prague, d’après un rapport à Kralupy, des civils tchèques donnèrent aux femmes, le 30 avril, de la nourriture et des médicaments, malgré les efforts de la SS pour les en empêcher.12
Le calvaire de quelques déportées de Mittweida prit fin à Prague où, le 7 ou le 8 mai, elles furent libérées par les troupes soviétiques. D’autres racontent qu’elles allèrent en train de Prague à Budweis, où des unités américaines les libérèrent.
De l’ancien camp annexe il reste aujourd’hui encore le baraquement des surveillantes. Une plaque commémorative en bronze offerte par la ville de Mittweida fut inaugurée le 25 avril 2005 à proximité du terrain.
1 Verlagerungskennblatt der C. Lorenz AG in : BArch Berlin, R 3/261.
2 Protokoll der mündlichen Er¨rterun zwecks Erstellung eines Barackenlagers für die Firma Lorenz AG in Mittweida; 2.6.1943, in: Stadt A Mittweida, I.II.1943.
3 Aussage Eduard S., 2.12.1970, in: BArch Ludwigsburg, ZStL IV 410 AR-Z 106/68 (B).
4 NARA, RG 338, 290/13/22/3, 000-50-46, Box 537 (Mikrofilm-Kopie in: AGFI)
5 Monatliche Forderungsnachweise der Kommandantur in Flossenbürg an die C.Lorenz AG, Mittweida vom Oktober bis Dezember 1944, in: BArch Berlin, NS 4/FI 393.
6 Auss age Fritz S., 28.12.1970, in: BArch Ludwigsburg, ZStL IV 410 AR-Z 106/68 (B).
7 Aussage Ernst R., 3.12.1970, in: ebenda.
8 Aussagen Jozefa B., 18.7.1969, und Maria V., 20.10.1969, in: ebenda.
9 Aufstellung vom 25.11.1944, unterschrieben von SS-Oscha, Teichmann, in: BArch Berlin, NS 4/FI 428.
10 Aussage Marie R., 28.4.1977, in: BArch Ludwigsburg, ZStL IV 410 AR-Z 106/68 (B), die fast zehn Jahre in Waldheim, Sachsenhausen, Hohenschönhausen, Lichtenberg, Bautzen und Hoheneck einsass.
11 CEGESOMA, Mikrofilm 14368.
12 Aussage Danica B., 9.3.1970 in: BArch Ludwigsburg, ZStL IV 410 AR-Z 106/68 (B).
Littérature
Andreas Künzel, « Hätte ich Flügel, würde ich gleich wieder zu Euch fliegen.” « Das Schicksal von ausländischen Zwangsarbeitern in Mittweida und Umgebung zwischen 1939 und 1945, Mittweida 2005 (mit einem Beitrag von Ulrich Fritz)
Ulrich Fritz
Extrait de l’ouvrage de Wolfgang Benz et Barbara Distel « Der Ort des Terrors » p.190, 191, 192,193
Traduit de l’allemand par Nadine Goujon le 31/01/2015.
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