Le 1er décembre 1943 un camp extérieur du camp de concentration de Flossenbürg fut construit dans la petite ville de l’Erzgebirge Johanngeorgenstadt, située à environ 50 km au sud de Zwickau et tout près de la frontière de l’actuelle République Tchèque. Mis à part un camp extérieur qui a existé peu de temps à Stulln, c’était le premier camp extérieur du camp de concentration de Flossenbürg aménagé pour l’industrie de l’armement. Depuis 1939 la SARL de construction mécanique Erla, dont le siège avait été transféré à Leipzig peu après l’implantation de Erla dans le Erzgebirge en 1934, exploitait à Johanngeorgenstadt une entreprise dans l’usine de meubles de bureau Heinz, installée dans un lieu tranquille. Des travailleurs civils allemands et étrangers y fabriquaient des gouvernes, des ailes et des lamelles pour l’avion de chasse Me 109 construit par les usines Erla de Lizenz.

Ce sont d’abord 100 détenus de camp de concentration qui travaillèrent à partir du 3 décembre 1943, puis, à partir du 20 décembre déjà 420, dont 205 comme ouvriers spécialisés et 215 comme manoeuvres. Suite à de nouveaux convois, le kommando de travail passa fin janvier 1944 à 550 détenus ; fin février on transféra environ 100 détenus à Johanngeorgenstadt, fin mars 130 et fin mai encore 50. Le nombre de détenus qui était ainsi arrivé à 833 chuta en juin 1944 à 809 ; dans le courant de l’année le nombre de détenus baissa entre 780 et 840. Pour les jeunes détenus appelés « apprentis » les usines Erla comptaient un taux journalier moindre de 2 RM. A partir d’août 1944 on dénombra 41 « apprentis », fin septembre jusqu’à 142, et jusqu’à la fin de l’année environ 132 durent travailler quotidiennement. L’effectif maximum du camp fut atteint en janvier 1945 avec 988 détenus ; fin février il y avait encore 857 détenus à Johanngeorgenstadt et fin mars 847 1. Le dernier rapport des forces du 13 avril 1945 mentionne 842 détenus. Les plus grands groupes étaient constitués de 400 hommes venus de l’Union Soviétique, 200 pour les Polonais et les Français et même 60 Allemands. Les autres prisonniers appartenaient à neuf autres nationalités. Dans le livre des matricules de Flossenbürg aucune catégorie de détention n’est indiquée pour plus de la moitié des détenus 2. La plupart étaient d’anciens travailleurs civils du travail forcé ou des déportés politiques ; des tsiganes et des « asociaux » étaient aussi emprisonnés. En plus des ouvriers spécialisés (de la métallurgie) il y avait, dans le camp extérieur, des gens appartenant à tous les métiers, la plupart furent embauchés comme manoeuvres 3. Différents groupes furent transférés à Johanngeorgenstadt par de plus grands convois : fin février 1944 un peu plus de 120 Français, qui avaient été déportés à Flossenbürg peu de temps auparavant, en mars environ 70 Russes en provenance de Lublin-Majdanek, en août environ 40 « tsiganes » allemands ou tchèques venant de Buchenwald. En outre, de plus petits groupes de détenus, le plus souvent des ouvriers spécialisés, arrivaient régulièrement à Johanngeorgenstadt, des malades étaient renvoyés au camp principal de Flossenbürg.

Les détenus étaient logés dans le sous-sol de la fabrique de meubles, leurs lieux de travail se trouvaient au-dessus dans les étages. La fabrique était entourée d’une clôture en fil de fer barbelé électrifiée. Le travail se faisait en deux équipes de douze heures chacune et par groupes de 25 à 80 personnes. Quiconque ne s’acquittait pas normalement de sa tâche devait le payer par une bastonnade 4. En plus de leur travail à la fabrique, les détenus devaient de temps en temps déblayer la neige ou nettoyer la ville. D’après les témoignages du premier chef de kommando SS-Hauptscharführer Cornelius Schwanner au procès de Dachau- Flossenbürg, le camp extérieur disposait d’une infirmerie bien équipée et de soins remarquables – une opinion qui ne fut partagé par aucun des anciens détenus.

Il semblerait que deux détenus polonais aient travaillé comme infirmiers avec un médecin russe. De plus, le médecin de l’usine, Dr. Englhardt, était responsable de l’assistance médicale apportée aux prisonniers. Les détenus recevaient la nourriture de la firme, qui la décomptait des frais de travail auprès de la kommandantur de Flossenbürg. Quelques travailleurs civils aidaient les détenus en introduisant clandestinement des colis de vivres dans le camp ou en leur procurant l’accès à un récepteur de radio.

L’équipe de surveillance à Johanngeorgenstadt se composait au début d’environ 40 SS, qui, durant les premières semaines, étaient logés dans la «Bergschänke»5. A partir de la fin de l’été 1944, on mit aussi à contribution, non pas seulement pour le service de garde, mais aussi comme artisans, des soldats de l’armée de l’air qui venaient peut-être du bataillon de construction de l’armée de l’air 1/4 VII dissous. En service, ils continuaient à porter les uniformes de l’armée de l’air avec les écussons des SS 6.

Economiquement ils étaient, comme leurs collègues du camp extérieur de Flöha, sous l’autorité de la division 4 de formation de conduite de l’armée de l’air dépendant de Chemnitz-Hilbersdorf 7.De janvier à mars 1945, le nombre de gardiens resta constant à 59 8. La SS se montrait extrêmement brutale lors de «fautes» des détenus. De trois jeunes détenus qui avaient tenté de fuir, l’un fut abattu et un autre fut repris ; il fut enfermé trois jours dans un réfrigérateur dans la cuisine, puis pendu dans la cour de l’usine. Tout d’abord la corde cassa, ce n’est qu’à la 2éme tentative que le jeune russe fut tué 9.

Début 1945 il y eut un vaste changement dans le personnel de garde du camp extérieur : le chef de kommando Cornelius Schwanner fut remplacé par le SS-Hauptscharführer Gottfried Kolacevic, qui fut détaché avec 30 gardiens à Johanngeorgenstadt le 24 janvier ; le 5 février, 27 autres suivirent, parmi lesquels le SS-Scharführer Wenzel Fink, resté dans les souvenirs des détenus comme un homme brutal 10. La très grande majorité des gardiens avait 40 ans ou plus. Peu de temps après, Cornelius Schwanner devint chef de kommando du camp extérieur de Obertraubling ; en raison principalement de la cruauté dont il fit preuve, il fut condamné à mort lors des procès de Flossenbürg à Dachau et exécuté en 1948 à Landsberg.

50 détenus au moins sont morts dans le camp extérieur de Johanngeorgenstadt. Si au début ils étaient victimes d’exécutions ou d’assassinats de la part des gardiens, à partir du début 1945 de plus en plus de détenus mouraient de maladies comme la tuberculose et le typhus. 13 décès sont mentionnés rien que pour le mois de février 1945. Les corps furent conduits à Flossenbürg ou Zwickau pour être incinérés.

Le camp extérieur de Johanngeorgenstadt fut évacué le 16 avril 1945. Le chef de kommando Kolacevic reçut soi-disant une consigne précise du SD de Aue 11. Aux détenus de Johanngeorgenstadt se joignirent d’autres qui venaient d’autres camps dissous, et qui tous furent entraînés vers Schönheide. Le rapport d’une enquête tchèque parle de 1123 détenus, dont 188 de Lengenfeld, 106 de Zwickau, mais aussi de 7 femmes venant de Plauen, qui avec les 822 détenus qui se trouvaient sur place devaient être conduits, tout d’abord par le train à Karlsbad en passant par Neurohlau, puis de là à pied vers l’est par Bochov, Lubenec et d’autres étapes jusqu’à Theresienstadt.
D’après le témoignage de Kolacevic, il remit le convoi, qui s’amenuisait de jour en jour en raison des nombreux décès dus à l’épuisement et à la maladie, à une délégation suisse à Theresienstadt le 8 mai 1945. Il aurait eu à ses côtés pour accompagner le convoi environ dix gardiens SS, qui pour certains d’entre eux furent emprisonnés ; SS-Scharführer Fink mourut durant sa détention préventive tchèque.
A Johanngeorgenstadt après la libération fut installé un « camp d’accueil pour travailleurs étrangers et détenus de camps de concentration », où de nouveaux décès sont prouvés jusqu’à fin mai 1945 ; mais il s’agit vraisemblablement de décès de travailleurs civils du travail forcé.

La procédure d’enquête contre le deuxième chef de kommando Gottfried Kolacevic fut engagée en 1976. Comme sa responsabilité pour les décès pendant l’évacuation du camp extérieur ne put être prouvée, le parquet de Frankfurt/Main considéra en raison de la prescription, qu’une condamnation pour homicide volontaire était impossible 12.

Le bâtiment de l’usine Erla transférée fut à nouveau utilisé comme fabrique de meubles après la guerre ; entre-temps il est libre. Plusieurs plaques commémoratives rappellent le camp extérieur. Au cimetière de Johanngeorgenstadt un emplacement fut aménagé avec des pierres commémoratives pour les victimes françaises, russes et italiennes du camp extérieur.

1 Monatliche Forderungsnachweise der Kommandantur Flossenbürgs, Dezember 1943 bis Dezember 1944, in: BArch Berlin, NS 4/FL 393, Bd. 1, in: BArch Berlin, Bestand ehem.ZStA Dok/K 183/11.

2 NARA, RG338, 290/13/22/3,000-50-46, Box 537 (Mikrofilm-Kopie in: AGFI).

3 131 Überstellungen nach dem Arbeitslager Johanngeorgenstadt (Erla-Werke),o.D., in: CEGESOMA, Mikrofilm 14368.

4 Ausage Jozef M., 8.12.1970, in : BArch Ludwigsburg, ZStl. 410 (F) AR-Z. 18/68.

5 Aufstellung der verpflegten und untergebrachten Wachmannschaften, 10.5.1944, in: BArch Berlin, NS 4/FL 353, Bd. 2.

6 Aussage Hermann K., 4.12.1975, in: BArch Ludwigsburg, ZStl. 410 (F) AR-Z. 18/68.

7 Aufstellung der Kommandantur Flossenbürg, Abt. Luftwaffe, vom 7.August 1944, in: BArch Berlin, NS 4/FL 354, Bd. 2.

8 Stärkemeldung der Wachmannschaften und Häftlinge der Arbeitslager im Dienstbereich des HSSPF des SS-Oberabscnitts ELBE nach dem Stand vom 28.2.1945 und 31.3.1945, in: ITS Arolsen, Historisches Archiv, Flossenbürg-Sammelakt 10, Bl. 71 und 85.

9 Aussage Adolf S., 7.2.1967, in: BArch Ludwigsburg, ZStl. 410 (F) AR-Z. 18/68. Die zunächst gescheiterte Erhängung des ehemaligen Lehrers Federenko ist durch viele andere Aussagen ebenfalls belegt; in den Nummernbüchern ist sein Todesfall ohne Datum mit dem Vermerk « S.B. » (Sonderbehandlung) verzeichnet.

10 Transportlisten vom 24.1.1945 und 5.2.1945, in: BArch Berlin, NS 4/FL. 428.

11 Aussage Gottfried K., 22.2.1973, in: BArch Ludwigsburg, ZStl. 410 (F) AR-Z. 18/68.

12 Einstellungsbescheid der Staatsanwaltschaft zum Aussenlager Frankfurt/Main, 9.6.1976, in: ebenda.

Literatur

Hans Brenner, Beitragsfolge zum Aussenlager Johanngeorgenstadt in der Freien Presse, Ausgaben vom 26. und 28. Januar sowie 2. und 4. Februar 2002.

Ulrich Fritz

Extrait de l’ouvrage de Wolfgang Benz et Barbara Distel « Der Ort des Terrors » p.154

Traduit de l’allemand par Nadine Goujon le 24 janvier 2013.

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