Historique du Kommando de Hainichen

Un Kommando du camp de concentration de Flossenbürg fut installé en août 1944 dans la petite ville industrielle de Hainichen en Saxe, à 18 kilomètres au nord-est de Chemnitz. 500 déportées juives arrivant d’Auschwitz, durent y travailler pour les usines Framo GmbH à la fabrication de mitrailleuses, de lanceurs de brouillard et de lance-grenades.

Le 8 septembre 1944, le premier convoi amena environ 150 Juives polonaises à Hainichen. Elles avaient quitté le ghetto de Lodz qui venait d’être dissous pour rejoindre Auschwitz, où elles avaient été triées. Toutefois, en septembre, ne travaillaient aux usines Framo que 39 à 125 déportées (1). Le 8 octobre 350 autres déportées de Auschwitz arrivèrent à Hainichen, presque exclusivement des Juives hongroises. Les inscriptions dans les registres matricules de Flossenbürg mentionnent en plus deux Tchèques et quelques femmes sans mention de leur nationalité (2). Le nombre de femmes facturées pour le travail forcé s’élevait la plupart du temps entre 460 et 480, ce qui prouve clairement que beaucoup de femmes étaient soit malades soit trop faibles pour travailler. Certains jours, sans doute en raison des attaques aériennes, ne travaillaient que 170 femmes.

Les déportées étaient logées dans un bâtiment de deux étages avec grenier, qui avait dû être une fabrique d’aiguilles. La propriété, sur laquelle il n’y avait plus qu’un baraquement qui servait de cuisine, était entourée d’une clôture de fil de fer barbelé de deux mètres de haut ; deux miradors aux angles opposés étaient occupés 24 heures sur 24. À chaque étage, il y avait un dortoir pour les déportées et les gardes étaient logés sous les toits. Au rez-de-chaussée il y avait un bureau et une infirmerie comprenant une salle d’isolement. La majorité des 15 surveillantes-SS habitaient la ville de Hainichen. Elles avaient pour la plupart travaillé dans les usines Framo et avaient dû accepter de garder les déportées. Après une formation à Ravensbrück, elles prirent leur travail à Hainichen et surveillèrent les femmes surtout au travail : elles devaient empêcher les sabotages, les contacts avec d’autres travailleurs et la circulation clandestine d’objets (3). Fin octobre 1944, on attribua au Kommando deux nouvelles surveillantes en provenance du Kommando de Markkleeberg, un Kommando du camp de concentration de Buchenwald. Le chef du Kommando était le SS-Oberscharführer Wilhelm Loh, qui était gardien depuis 1939 au camp de concentration de Flossenbürg. D’après quelques sources, il aurait été envoyé à Hainichen fin juillet ou début août 1944 pour y créer ce camp extérieur (4). Sous la direction de Loh, il y avait en plus douze gardiens SS, dont six étaient affectés au service quotidien. Les gardiens venaient soit de Hongrie, soit appartenaient à l’armée de Wlassow. D’après les souvenirs de nombreuses femmes, les déportées étaient particulièrement maltraitées par la surveillante en chef Becker mais aussi par un SS-Rottenführer, Heinrich Michel.

Deux gardes SS escortaient les déportées sur environ un kilomètre jusqu’à la fabrique, où, réparties en deux équipes de douze heures chacune, elles devaient travailler le métal (fraisage, affûtage de canons etc…) dans l’atelier de construction d’armes. En plus des déportées, il y avait des prisonniers de guerre italiens, polonais et russes ainsi que des travailleurs civils tchèques embauchés dans les usines Framo ; quelques déportées tchèques réussirent à entrer en contact avec eux. En chemin, les femmes avaient des nouvelles du front. Les salles étaient mal chauffées, si bien que beaucoup de femmes souffraient de cystite. Elles pouvaient sortir mais toutes ensemble, à des heures précises et sous la surveillance des gardiennes. Elles devaient faire leurs besoins urgents dans des seaux à leur place de travail et sous les yeux des travailleurs, mais dans ce cas, la surveillante en chef les punissait en leur supprimant le déjeuner chaud (5).

La nourriture était très nettement insuffisante : les déportées avaient une soupe liquide deux fois par jour et un peu de pain le soir. Pourtant le directeur de l’usine avait clairement fait savoir que les usines Framo disposaient de nourriture en quantité suffisante pour le camp, ce qui fut bien pris en compte dans les demandes mensuelles. On peut penser que les gardiennes volaient de la nourriture en grande quantité. L’assistance médicale des femmes était elle aussi insuffisante : les médecins déportés, une femme médecin généraliste de Vienne et une dentiste de Klausenburg, tout comme les cinq infirmières ne pouvaient soigner les femmes qu’avec des cataplasmes et de la pommade. En cas d’accidents du travail, les femmes étaient soignées à l’usine et là sans doute mieux que dans le camp (6).

En dehors des médecins et de quelques femmes qui nettoyaient l’hébergement ou étaient de service de cuisine, il n’y avait pas de détenues chargées du fonctionnement du camp à Hainichen. La doyenne du camp, une Polonaise, est à peine mentionnée. Quelques femmes se souviennent de « doyennes de salle » qui devaient toutes être polonaises.

Les femmes parlent d’attaques aériennes fréquentes ; celles-ci entraînèrent un nombre élevé d’accidents du travail qui, en mars 1945, poussèrent les usines Framo à réclamer auprès de la Kommandantur de Flossenbürg une réduction de salaire pour travail non effectué par les déportées (en raison des alertes) depuis octobre 1945. La Kommandantur accepta ; les déportées durent rattraper une partie du temps de travail perdu (7).

Les déportées eurent à souffrir tout particulièrement de la surveillante en chef Gertrud Becker. Elle était poinçonneuse depuis 1943 dans les usines Framo et fut contrainte au travail obligatoire à partir du 1er septembre 1944. En raison de son teint mat et de ses cheveux noirs on lui donna le surnom de «hibou noir», «diable» ou «mort». À la moindre irrégularité, elle frappait les femmes et les insultait. Elle faisait souvent couper les cheveux des femmes et volait même la nourriture qui leur était destinée. Quand les femmes lavaient leurs vêtements, elle les obligeait à rester debout dans le froid glacial vêtu de leur linge mouillé (8). Becker fut directement ou indirectement responsable de plusieurs décès. Elle obligea une Polonaise qui souffrait des reins et pour cette raison était alitée à l’infirmerie à retourner au travail dans l’atelier de peinture ; ayant demandé à avoir un travail assis, elle fut, semble-t-il battue à mort par Becker et enterrée dans l’enceinte du camp (9). Le 1er octobre 1944 est mentionné dans les registres de matricules comme date de ce premier décès. Une jeune fille hongroise, qui avait pris des pommes de terre, fut frappée de la même manière par Becker, si bien qu’elle mourut quelques jours plus tard. Le chef du Kommando Loh, que toutes les femmes disent correct et une partie d’entre elles serviable, ne put ou ne voulut apparemment pas prendre des mesures contre le comportement de Becker. Au total cinq décès sont consignés. La mort fut cependant constatée par le médecin de l’entreprise et attestée officiellement par le bureau d’état civil de Hainichen (10).

D’après le rapport concernant la main d’œuvre du HSSPF Elbe, il y avait 498 déportées fin janvier 1945 à Hainichen, 494 fin février ; le nombre de leurs gardiens resta constant : 10 gardiens SS et 25 surveillantes.11 Dans le dernier rapport du 13 avril, il y a à nouveau 500 déportées notées pour Hainichen. Même le 5 avril arrivèrent à Hainichen six femmes juive vraisemblablement évacuées à pied de Gross-Rosen sur Flossenbürg.

Le directeur du Kommando Wilhelm Loh déclara avoir décidé lui-même de l’évacuation du Kommando ; en revanche les femmes disent à l’unanimité que l’évacuation eut lieu aussitôt après une attaque aérienne dans la panique et le chaos total (12). Les femmes durent d’abord aller à pied, puis elles furent chargées dans des wagons, mais on ne sait pas où, et transportées vers Aussig (Usti nad Labem). Dans ce convoi il y avait aussi 500 déportées, supposées être des Polonaises non-juives, des Ukrainiennes et des Yougoslaves, sans doute en provenance du Kommando de Chemnitz. Certaines racontent que le convoi se serait arrêté au bord d’une rivière, où elles se seraient lavées et auraient essayé de faire cuire des mauvaises herbes et de l’herbe ; d’autres se souviennent d’un long arrêt dans la ville de Aussig bombardée. À partir de là, les femmes durent continuer à pied ; les malades suivirent en voiture (13). Après plus d’une semaine, n’ayant pratiquement rien eu à manger, elles arrivèrent épuisées à Leitmeritz, où elles laissèrent les Ukrainiennes et les Yougoslaves. Les femmes de Hainichen furent conduites à Theresienstadt où les troupes soviétiques les libérèrent le 8 mai.

Après la guerre au moins 15 des surveillantes SS furent internées par la force d’occupation soviétique (14). Deux d’entre elles moururent dans le camp spécial de Mühlberg, les autres quittèrent le camp de Mühlberg en septembre 1948 ; elles furent conduites à Buchenwald dans le camp spécial qui s’y trouvait, et elles y restèrent enfermées jusqu’à février/mars 1950. La surveillante en chef Gertrud Becker fut condamnée à la perpétuité lors du «procès de Waldheim» et resta en prison jusqu’à fin 1955 ; à la fin  elle était incarcérée à la prison de Hoheneck. Elle alla s’établir en République Fédérale. Un tribunal américain condamna Wilhelm Loh à mort ; la peine fut commuée en une peine d’emprisonnement de 20 ans, dont Loh fit huit ans à Landsberg. Les enquêtes de Ludwigsburg furent prises en charge par le parquet de Hanovre.

L’usine de Hainichen servit après la guerre au constructeur automobile «Barkas» ; aujourd’hui c’est le mandataire automobile ISE qui occupe les locaux restants. La ville envisage de mettre une plaque commémorative.

Anmerkungen

1     Forderungsnachweise der Kommandantur Flossenbürg an die Framo-Werke Hainichen für September bis Dezmber 1944 in : BArch Berlin, NS 4/FL 393, Bd.2.

2     NARA, RG 338, 290/13/22/3, 000-50-46, Box 537 (Mikrofilm-Kopie in : AGFI).

3     Aussage Loni D., 21.1.1970, in : BArch Ludwigsburg, ZStL IV 410 AR -Z 54/70.

4     Aussage Wilhelm L., 10.6.1969 in : ebenda.

5     Aussage Sara R., 15.12.1969, in : ebenda.

6     Aussage Rosalia Y., 30.12.1969, in : ebenda.

7     Schreiben der Framo-Werke an die Waffen-SS, Kommandantur – Arbeitseinsatz in Flossenbürg, 6.3.1945, in : BArch Berlin, NS 4/FL 351.

8     Aussage Zipora P., 6.11.1969, in : BArch Ludwigsburg, ZStL IV 410 AR -Z 54/70.

9     Aussage Celina Z.,8.5.1969, in : ebenda.

10   Aussage Gertrud B.,13.10.1970 in : ebenda.

11   Stärkemeldung der Wachmannschaften und Häftlinge der Arbeitslager im Dienstbereich des HSSPF des SS-Oberabschnitts ELBE nach dem Stand vom 28.2.1945 und 31.3.1945, in : ITS Arolsen, Historisches Archiv, Flossenbürg-Sammelakt 10, Bl. 71 und 85.

12   Aussage Zipora P., 6.11.1969, in : BArch Ludwigsburg, ZStL IV 410 AR -Z 54/70.

13   Aussage Sidonie K., 11.12.1969, in : ebenda.

14   Mit einer Ausnahme wurde gegen sie kein Gerichtsverfahren eingeleitet. Auskunft der Gedenkstätte Buchenwald.

Ulrich Fritz

Extrait de l’ouvrage de Wolfgang Benz et Barbara Distel « Der Ort des Terrors » p.132, 133, 134, 135, 136.

Traduit de l’allemand par Nadine Goujon le 30 décembre 2020.

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