Le camp extérieur le plus au nord du camp de concentration de Flossenbürg se trouvait dans la petite ville de Gröditz, à environ 15 kilomètres de Riesa, à l’actuelle frontière entre la Saxe et le Brandebourg. L’aciérie qui se trouvait là formait avec les usines de Riesa et Lauchhammer les «  usines de Lauchhammer » et fabriquait jusqu’en 1934 entre autres des pièces en acier coulé, des roues de chemin de fer et des raccords de tubes en fonte. Les trois usines faisaient partie des aciéries d’Allemagne centrale fondées en 1926 de l’industriel Friedrich Flick. Celui-ci organisa à partir de 1934 le transfert de la production dans l’usine de Gröditz et renforça ses bonnes relations avec le ministre de la guerre Blomberg pour l’obtention d’importantes commandes d’armement. En peu d’années l’usine de Gröditz se développa considérablement ; la fabrication de pièces d’artillerie, d’obus, de torpilles et d’autres appareils pour la marine constituait en 1938 déjà les trois quarts du chiffre d’affaires – Gröditz devint au cours de la guerre l’usine d’armement la plus importante de tout le groupe Flick. Juste avant le début de la guerre fut construit « la construction mécanique », une salle de 330m de long et 80m de large, dans laquelle à partir de 1940 plus de 20% du personnel, c’est-à-dire 1600 ouvriers, fabriquaient des pièces d’artillerie1. Le besoin de main-d’oeuvre augmenta énormément, et à partir de 1940 on employa à Gröditz des ouvriers étrangers, la plupart sous la contrainte. En 1943, le nombre total de personnes employées était de plus de 9400 ; environ la moitié des 8400 ouvriers était d’origine étrangère ; il y avait des civils du travail obligatoire, surtout des prisonniers de guerre français et soviétiques, qui avaient été transférés du camp de prisonniers de guerre de Zeithain à Gröditz ; plus tard s’y ajoutèrent des prisonniers de guerre néerlandais et italiens. Les travailleurs civils soviétiques du travail obligatoire (déjà 2000 fin 1942) furent hébergés dans un « camp russe » situé à l’ouest de l’usine. Les travailleurs de Gröditz furent plus tourmentés que dans d’autres usines – entre autres par une « unité de choc politique » créée en 1942, qui surveillait aussi bien le fonctionnement quotidien de l’entreprise que les fêtes internes2. Bien qu’aucune assistance médicale suffisante ne soit prodiguée au personnel et que le difficile travail entraîne de nombreux accidents, l’usine fut élevée au rang d’entreprise modèle national-socialiste en 1943.

Avec la destruction des usines d’armement dans l’ouest de l’Allemagne et l’augmentation du taux de production qui s’en suivit à Gröditz, le manque de main-d’oeuvre s’accrut. A l’automne 1944 fut construit à Gröditz un camp extérieur dépendant du camp de concentration de Flossenbürg. On ne comprend pas bien pourquoi ce fut Flossenbürg, éloigné de plus de 300 km, et non des camps principaux géographiquement plus près comme Sachsenhausen ou Buchenwald, qui fut choisi pour administrer ce camp extérieur.

Le 27 septembre 1944, arrivèrent à Gröditz les 300 premiers détenus en provenance du camp de Dachau3. Ils devaient travailler à la «  construction mécanique » qui à cet effet fut séparé par un mur dans un lieu réservé aux détenus et un lieu de travail pour travailleurs allemands et travailleurs civils étrangers. Les déportés furent hébergés au premier étage dans une des trois ailes de la grande salle dans laquelle étaient aussi logés les hommes de garde SS. Ils succédaient à des prisonniers de guerre soviétiques, qui furent transférés dans d’autres parties de l’usine. 219 autres prisonniers arrivèrent de Flossenbürg à Gröditz le 17 novembre, parmi lesquels trois détenus allemands en fonction : le plus ancien dans le camp Valentin Kieser, celui qui était chargé des écritures dans le camp et un contremaître. 111 détenus arrivèrent à Gröditz le 22 décembre 1944 à nouveau en provenance de Flossenbürg4.

En décembre, chaque jour travaillaient entre 482 et – après Noël – 585 déportés, dont tout juste les deux tiers furent pris comme ouvriers qualifiés5. Jusqu’à la fin de l’année environ 270 déportés russes formaient le plus grand groupe, suivis par environ 150 Polonais, 90 Français, 60 Allemands, 50 Italiens et des ressortissants de onze autres nations. La plupart d’entre eux étaient internés dans un camp en « détention préventive » (plus de 320) et en tant que « travailleurs civils » (plus de 260), parmi eux il y avait beaucoup de résistants.

Beaucoup des nouveaux arrivants se trouvaient déjà dans un très mauvais état physique, après quelques semaines ils furent reconduits individuellement ou par petits groupes à Flossenbürg6. Les carences hygiéniques entrainaient la propagation de maladies «  L’étage mansardé en forme de boyau servait à des centaines de déportés aussi bien de salle de repos et de dortoir que de salle à manger, de salle pour la toilette et dans une partie à l’écart d’infirmerie. »7 D’après le témoignage de l’écrivain français déporté Fernand Travers la nourriture se composait de « quelque chose qui avait l’air d’alimentation, mais ça n’en était pas ! C’était de la nourriture pour les porcs».8 Dans la partie isolée qui servait « d’infirmerie » un étudiant en médecine français essayait d’aider ses compagnons de captivité, mais il avait très peu de médicaments. Le médecin allemand de l’usine les refusait aux déportés sous prétexte qu’il n’y en avait même pas assez pour les soldats allemands. Au moins 9 tentatives d’évasion sont signalées. Jusqu’à la fin de 1944 il y eut au moins 21 décès à Gröditz, en janvier 1945 déjà plus de 30. Dans le courant du mois d’assez petits groupes de détenus furent conduits à Gröditz (15 en tout). Fin janvier, il y avait 605 déportés à Gröditz, qui étaient surveillés par 64 membres de la SS.9 Fin février la SS livra 112 détenus à Flossenbürg ; le nombre total de détenus tomba à 466. Le 3 mars arriva à Gröditz le dernier grand convoi de déportés avec 331 prisonniers en provenance de Gusen, un camp extérieur de Mauthausen, où ils étaient déjà arrivés le 13 février.10 Le convoi était passé par Dresde, où les déportés étaient restés en gare plusieurs jours sans nourriture en raison du bombardement.11 La direction de l’usine avait particulièrement bien pris soin de ces déportés, car, elle supposait que parmi eux se trouvaient de nombreux ouvriers spécialisés, déplacés à Mauthausen suite à la dissolution du complexe de Auschwitz. Dans le convoi il y avait bien les ouvriers spécialisés espérés (conducteurs de machines, tourneurs, électriciens etc…) mais en très petit nombre, des déportés en partie très gravement malades et incapables de travailler, et bon nombre d’adolescents. La plupart des déportés juifs venaient de Pologne, de Hongrie, de France et de neuf autres pays. Peu après leur arrivée les déportés de Gröditz furent touchés par une épidémie de typhus ; en février 1945 on enregistra 30 morts, en mars presque 60, dans les deux premières semaines d’avril 79. En mars et en avril d’autres assez petits groupes de prisonniers arrivèrent à Gröditz, par exemple 17 environ le 9 mars en provenance de Gross-Rosen. Le dernier arrivage de 33 déportés en provenance de Flossenbürg eut lieu le 6 avril 1945 ; le 13 avril, date du dernier décompte, il y avait 743 déportés à Gröditz. Au total, ce sont plus de 1000 hommes qui durent travailler dans les aciéries d’Allemagne centrale.

L’épidémie de typhus dans le camp toucha aussi le chef du kommando le SS- Obersturmführer Eduard Edmund Körmann.12 Après un court passage au camp de concentration de Natzweiler, Körmann avait rejoint Flossenbürg depuis 1942 et était visiblement débordé par la situation à Gröditz. Quelques-uns des déportés le dépeignent comme un peu « bizarre » mais correct. Les coups et les exécutions décrits dans plusieurs témoignages sont plutôt à attribuer à des prisonniers en fonction, plus particulièrement des gardiens isolés, qu’à l’initiative du chef de camp.

Avec l’avancée des troupes soviétiques sur Berlin, Gröditz se retrouva sur la ligne de front. La direction de l’usine essaya d’empêcher que les déportés survivants dans l’usine soient libérés et pour cette raison demanda le 17 avril auprès du HSSPF du secteur Elbe à Dresde leur déplacement. La SS voulait abattre les détenus malades dans l’usine et déplacer ceux qui étaient capables de marcher. La direction de l’usine réussit cependant à se procurer des camions avec lesquels de 400 à 500 hommes capables de marcher furent conduits à Radebeul, d’où ils partirent à pied avec des déportés d’autres camps extérieurs dissous pour Theresienstadt, où plusieurs centaines furent libérés. Les camions rentrèrent et chargèrent 17 déportés sortis du bloc de repos, 36 du bloc d’isolement du typhus et 135 par tirage au sort lors d’un appel par la SS ; ils furent exécutés dans une sablière à Koselitz située non loin de là. Trois prisonniers seulement réussirent à fuir. Un kommando de 30 déportés effaça les traces du crime de Gröditz : les déportés brûlèrent les actes et exhumèrent les morts qui avaient été enterrés dans l’enceinte de l’usine pour les inhumer dans des cimetières.13 Ensuite, ils furent conduits en camions à Glaubitz, où ils rejoignirent les marches de la mort des déportés qui quittaient la région de Leipzig. Le 9 mai 1945 ils furent libérés par l’armée rouge à Zinnwald dans l’Erzgebirge.14

Les déportés morts à Gröditz furent inhumés dans différents cimetières après la guerre. Aussitôt après la libération, les troupes russes firent des recherches sur le camp extérieur.

Un monument funéraire rappelle le souvenir des 186 assassinés de Koselitz. En mai 2004 fut inauguré un nouveau monument funéraire au cimetière de Gröditz. A cette occasion la ville put présenter une brochure de l’historien local Egon Förster, dont le travail qui dura de nombreuses années, fut soutenu par l’aciérie aujourd’hui à Georgsmarienhütte.

Karl Friedrich Flick fut condamné à 7 ans de détention lors du procès Flick en 1947, mais dès 1950 il quitta la prison de Landsberg. Juridiquement les évènements de Gröditz furent traités par le bureau central de l’administration juridique régionale de Ludwigsburg ; le ministère public de Zweibrücken arrêta la procédure en mai1976. Dans les années 90 le ministère public de Dresde mena une enquête sur l’exécution des 186 déportés à Koselitz, mais elle fut interrompue le 1er juillet 1999 par manque de coupables.

1 Zur Geschichte des Werks Gröditz vgl. Hubert Dörr. Zum Vorgehen der faschistischen Betriebsführung des ehemaligen Lauchhammerwerkes Gröditz im Flick-Konzern gegenüber den Arbeitern und anderen Werktätigen sowie zwangsverschleppten ausländischen Arbeitskräften, Kriegsgefangenen und KZ-Häftlingen während des Zweiten Weltkrieges. Diss., Dresden 1978.

2 Ebenda, S.82ff.

3 Egon Förster, Zwangsarbeiter in Gröditz 1939-1945, Gröditz 2004, S.17 ff.

4 Überstellung von Häftlingen nach Gröditz am 9.12. und 22.12.1944, In CEGESOMA, Mikrofilm 14368.

5 Forderungsnachweise der Kommandantur Flossenbürg an die Mitteldeutschen Stahlwerke Gröditz für die Monate Oktober bis Dezember 1944,in: BArch Berlin, NS 4/FL393, Bd.2.

6 NARA, RG 338, 290/13/22/3,000-50-46, Box 537 (Mikrofilm- Kopie in: AGFI)

7 Dörr, Zum Vorgehen der faschistischen Betriebsführung , S. 176.

8 Aussage Travers im Flick-Prozess, Bd.3, S.683 (undatierte Zusammenstellung in: AGFI

9 Stärkemeldung der Wachmannschaften und Häftlinge der Arbeitslager im Dienstbereich des HSSPF des SS-Oberabschnitts ELBE nach dem Stand vom 28.2.1945 und 31.3.1945, in: ITS Arolsen, Historisches Archiv, Flossenbürg-Sammelakt 10.Bl. 71 und 85.

10 Transpôrtliste der am 13. Februar 1945 vom Nebenlager Gusen nach dem Arb. Lager Gröditz (Mitteldeusche Stahlwerke) überstellten 331 Häftlinge, in: Hauptkommission Warschau, KL. Mauthausen 17, k.110-115.

11 Aussage Ernst Sch., 4.10.1968, in: BArch Ludwigsburg, ZStl. IV 410 AR-Z 92/75.

12 Schlussvermerk, 29.4.1975, in: ebenda.

13 Aussage Jerzy R., 22.9.1968, in: ebenda.

14 Förster, Zwangsarbeiter, S.21.

Littérature

Egon Förster, Zwangsarbeiter in Gröditz 1938-1945, Gröditz 2004

Hubert Dörr, Zum Vorgehen der faschistischen Betriebsführung des ehemaligen Lauchhammerwerkes Gröditz im Flick-Konzern gegenüber den Arbeitern und anderen Werktätigen sowie zwangsverschleppten ausländischen Arbeitskräften, Kriegsgefangenen und KZ6 Häftlingen während des Zweiten Weltkriegs. Diss., Dresden 1978

Ulrich Fritz

Extrait de l’ouvrage de Wolfgang Benz et Barbara Distel « Der Ort des Terrors » p.120, 121, 122, 123,124.

Traduit de l’allemand par Nadine Goujon le 17 décembre 2013.

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