Le camp économique de Grafenreuth servit à partir de juin 1943 de 8ème camp extérieur au camp de concentration principal de Flossenbürg. L’installation d’un stock de vêtements était une partie des efforts d’autarcie de la SS, qui avait construit sur d’autres lieux dépendants de camps de concentration de grandes usines textiles pour ses besoins propres.1
Au printemps 1943 l’inspection des bâtiments de la Waffen-SS et de la police Reich-Süd à Dachau projeta la construction d’un stock de vêtements à Grafenreuth, à quelques 20 kilomètres de Flossenbürg. Après une visite des lieux par le SS-Obersturmführer Schöffel, la direction des bâtiments de Flossenbürg fut chargée des travaux préliminaires nécessaires à la construction du stock de vêtements sur un espace en friche de 5 ½ hectares le long de la voie de chemin de fer Weiden- Floss- Eslarn en face de la briqueterie Riebel & Cie. L’hébergement des déportés et le block de surveillance devaient être construits hors du terrain au bord d’une route à reconstruire.2 L’installation du stock de vêtements fut retardée en raison du manque de main d’œuvre qualifiée (arpenteurs), d’hommes de garde et d’outils. A la mi-juin le chef de mission C (bâtiment) de la SS-WVHA, le chef SS de brigade Kammler, ordonna, en raison de l’urgence, la construction de 20 baraquements pour des entrepôts et de deux pour les logements et organisa le transport des 20 baraquements à Grafenreuth, bien que les négociations ne soient pas encore terminées avec les propriétaires des terrains.3 A l’annonce faite par l’inspection des services des bâtiments de Reich-Süd que 32 wagons étaient arrivés le 21 juin avec des éléments de baraquements qui ne pouvaient être ni déchargés ni entreposés, le WVHA réagit aussitôt par la saisie des terrains en cause au bénéfice de la Waffen-SS.
Il est clair, que dès ce moment-là on employa 20 déportés pour effectuer la décharge des wagons – certes à la journée seulement – comme le montre le décompte pour juin 1943. Il était prévu d’employer 50 déportés maximum, et pour cause : on s’était abstenu de toutes les viabilisations onéreuses et l’alimentation en eau était rattachée à celle de la briqueterie ; en regard du matériel à entreposer, on installa une citerne à incendie. A partir de la fin juillet, six, puis jusqu’à 20 déportés devaient ôter de la briqueterie les briques indispensables et les transporter sur le terrain en face. Le 10 juillet, le SS-Rottenführer Alfred Bütikofer fut détaché à Grafenreuth comme directeur de chantier. Le 2 août, 150 déportés furent envoyés du camp principal de Flossenbürg à Grafenreuth, donc trois fois plus que prévu. Pour la plupart d’entre eux, ils étaient arrivés avec un convoi d’environ 1000 prisonniers en provenance d’Auschwitz le 14 mars à Flossenbürg, où ils avaient dû rester en quarantaine plusieurs semaines. Les déportés se trouvaient dans un état physique particulièrement mauvais. Dans la phase de création du camp extérieur cela conduisit à des tensions entre le directeur du chantier local, Bütikofer, et le chef de kommando Fries. C’est ainsi que le 30 septembre 1943, le directeur du chantier, Bütikofer, se plaignit que jusqu’à 20 des 140 déportés soient « inutilisables » pour 10 à 14 jours et que le chef de kommando Fries se refusait à faire remplacer les malades, alors que le stock de vêtements avait reçu 60 déportés, « parmi lesquels il y avait le pire comme à la direction du chantier le meilleur ».4
Le taux élevé de malades était à imputer au nombre beaucoup trop grand de déportés, alors que l’hébergement n’était pas encore terminé et que les installations sanitaires étaient insuffisantes. On ne sait pas à partir de quand les déportés de Grafenreuth trouvèrent un hébergement.
Comme le stockage des vêtements commença à partir de septembre, de nouvelles difficultés de logistique apparurent du fait que le camp extérieur n’était pas encore terminé. La livraison parallèle de matériaux de construction et de vêtements, alors que la surveillance était insuffisante, augmentait les risques d’accidents à la fois pour les déportés et pour les membres de la SS. Certes la direction des travaux de Flossenbürg avait démenti dès la mi- août la fin proche des travaux, néanmoins ils s’étirèrent sur encore une année. A la fin de la construction, le camp extérieur se composait de dix doubles baraquements pour stocker les vêtements, d’un baraquement pour les déportés et d’un autre pour les hommes de garde de la SS. Il était clôturé de fil de fer barbelé et entouré de miradors.
Début octobre 1943, Bütikofer demanda à la direction des travaux le remplacement de l’Oberkapo Kelchner : « Le déporté ne représente aucunement les intérêts de la direction des travaux et n’est plus en charge que du stock de vêtements ». de plus, les travaux souffraient de l’absence de raccordement de voie ferrée dans l’enceinte du camp.
Les divergences internes devaient être peu profitables aux déportés. Pourtant dès octobre 1943, quelques déportés tentèrent de fuir. Le 2 septembre 1944, un déporté russe fut abattu lors de sa tentative.5 cela mis à part, aucun décès n’est mentionné à Grafenreuth dans les registres, sans doute parce que les déportés malades étaient renvoyés dans le camp principal de Flossenbürg. Là moururent début janvier 1945 deux Français qui avaient été renvoyés de Grafenreuth peu avant Noël. Dans les enquêtes du bureau central du ministère régional de la justice, deux témoins parlent de plusieurs décès par jour et d’exécutions après des tentatives de fuite avortées ; mais le nombre constant de déportés indiqué dans les pièces justificatives fournies montre plutôt peu de décès.6
La nourriture fut d’abord transportée midi et soir de Flossenbürg à Grafenreuth dans un camion spécial, il est clair qu’à partir d’octobre 1944 la direction des travaux de Grafenreuth assuma elle-même cette charge.
Il existe deux sortes de documents concernant le camp extérieur de Grafenreuth. Pour l’un les déportés qui travaillaient au projet de construction à Grafenreuth furent comptabilisés à la direction des travaux de Flossenbürg. En janvier et février 1944, on retira à chaque fois 20 ouvriers spécialisés et 62 manœuvres, à partir de mars à peine un peu plus de 40 manœuvres. A partir de mi-mai jusqu’à la fin de l’année de 6 à 13 ouvriers spécialisés et entre 27 et 62 manœuvres étaient au travail – en tout en moyenne entre 33 (mai) et 74 (juillet) déportés. Le kommando de la briqueterie, dans lequel de 14 à 20 hommes devaient faire des travaux de construction pour la briqueterie Riebel & Cie et transporter des briques sur le chantier du stock de vêtements s’ajoutait à la main d’œuvre pour la direction des travaux. En 1944, on employa un à deux déportés comme ouvriers spécialisés et, de façon constante, autour de 60 déportés comme manœuvres pour l’usine de confection de Grafenreuth.
Le chef de kommando fut d’abord le SS- Hauptscharführer Kübler, qui, d’après un témoignage, contraignait les déportés à un dur travail et détournait certains vivres destinés aux déportés.7 Son successeur fut le SS- Hauptscharführer Voigt, qui, d’après plusieurs témoignages, veillait à une meilleure alimentation des déportés.
En raison de la proximité du camp principal et du court délai de l’embauche principalement pour la direction des travaux, la composition des déportés changeait constamment. D’abord ce furent surtout des déportés allemands, polonais, russes et français qui travaillèrent à la direction des travaux et dans l’usine de confection. Le 28 février 1945, il y avait au total 80 déportés à Grafenreuth, dont 40 Polonais, 15 Tchèques, 11 Yougoslaves, ainsi que quelques Russes, Français, Allemands et un Italien. Le 31 mars, 60 déportés sans indication de nationalité sont mentionnés.8 L’évacuation du camp extérieur eut lieu le 20 ou le 21 avril 1945. Avec le chef de kommando Voigt, les déportés se joignirent à une marche, en partant du camp principal de Flossenbürg, mais ils formèrent néanmoins un groupe à part ; ils furent libérés à Cham par les troupes américaines. Grâce au comportement prudent de Voigt, aucun déporté ne décéda durant cette marche.
La localité de Grafenreuth fut confrontée au camp extérieur. Le propriétaire de la briqueterie était devenu profiteur du travail forcé des détenus, puisqu’il avait eu des contreparties. Les paysans des villages environnants furent mis à contribution et durent effectuer des transports avec leurs charrettes pour le camp extérieur. Deux propriétaires de terrains partageaient avec la SS l’utilisation de leurs terrains pour l’installation d’une conduite d’eau allant de l’étang de Heideck au camp.
Après l’évacuation, la population pilla le stock de vêtements. Les baraquements ne furent enlevés qu’à la fin des années 50. Il ne reste aujourd’hui qu’un poteau de la clôture du camp.9
Les informations judiciaires du parquet de Weiden, lancées par le bureau central du ministère régional de la justice, furent suspendues, sans résultat, en 1976.
1 Hermann Katenburg, Die Wirtschaft der SS, Berlin 2003, S.936-939 und passim.
2 Vorschlag zur Errichtung eines Bekleidungslagers bei Grafenreuth, 24.5.1943, in: BArch Berlin, NS 4/FL.217.
3 Schreiben des SS-WVHA, 17.6.1943, in: ebenda, 219, Bd.2.
4 Handschriftlicher Brief Bütikofers an Bauleiter Seiz in Flossenbürg vom 30/9/1943, in: ebenda, 217.
5 NARA, RG 338, 290/13/22/3, 000-50-46, Box 537 (Mikrofilm-Kopie in :AGFI)
6 Aussagen Jozef M., 19.7.1969, und Antoni B. 15.7.1970, in: BArch Ludwigsburg, ZStL, IV 410 AR-Z 166/75.
7 Aussage Wladyslaw K., 24.4.1972, in: ebenda.
8 BArch Berlin, Bestand ehem.ZStA, Dok/K 183/11.
9 Wir danken Oliver Muckof aus Floss für die Überlassung einer 2003 erstellten Fotodokumentation zum Aussenlager Grafenreuth, die im Archiv der Gedenkstätte Flossenbürg zugänglich ist.
Ulrich Fritz
Extrait de l’ouvrage de Wolfgang Benz et Barbara Distel « Der Ort des Terrors » p.114, 115, 116, 117.
Traduit de l’allemand par Nadine Goujon le 10 juin 2014.
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