A Altenhammer, une localité à deux kilomètres de Flossenbürg, dont elle fait aujourd’hui partie, se trouvaient tout comme à Flossenbürg plusieurs entreprises de granit. L’une d’elles, l’usine Ernst Stich, s’adressa, en janvier 1942, personnellement et par courrier à la Kommandantur du camp de concentration de Flossenbürg pour demander «  de mettre à sa disposition à Altenhammer au printemps 1942 un kommando de travail de déportés pour la construction d’un camp de prisonniers de guerre soviétiques ».1 Cette requête fut rejetée par la Kommandantur sous le prétexte de « manque de postes ».2 Ce n’est que deux ans et demi plus tard que s’ouvrit à Altenhammer un camp extérieur de Flossenbürg. Au cours de l’année 1944 furent constitués deux kommandos extérieurs, dans lesquels des déportés construisaient en continu des pièces pour le chasseur Me 109 des usines Messerschmitt. Les deux kommandos devaient d’abord, chaque jour, marcher depuis le camp central et y retourner le soir ; le déjeuner était pris à Altenhammer.

Fin 1944/début 1945 plusieurs centaines de déportés furent hébergés dans les salles de l’usine utilisées par Messerschmitt. Le kommando Stich, avec environ 60 déportés était logé dans une salle de l’usine de granit, propriété de Stich, qui avait dû la louer à Messerschmitt. Le kommando Ambos, avec environ 500 déportés, était logé dans une construction à toit bas en granit d’imposantes dimensions (60 mètres de long, 20 de large et 11 de hauteur). Les déportés devaient travailler dans les mêmes bâtiments, d’abord en équipes de jour, mais à partir de février aussi en équipes de nuit.

Les kommandos, comme plus tard le camp extérieur, furent surveillés par des soldats de la Luftwaffe adjoints à la SS. Dans la dernière répartition de travail du 13 avril 1945, il y a 8 postes mentionnés pour le kommando Stich et 28 pour le kommando Ambos.3 Le chef de kommando était Ewald Reinhold Heerde. Le chef de production était un commandant de la Luftwaffe, qui sera battu à mort par les déportés à la fin de la guerre.

Il y a différentes informations sur les conditions de vie des déportés à Altenhammer. Dans plusieurs procès, qui ont fait suite au procès de Flossenbürg à Dachau, Altenhammer est l’un des très peu nombreux camps extérieurs à être aussi détaillé. La plupart des témoins étrangers décrivirent l’hébergement, la nourriture et le traitement par les hommes de garde et les kapos, non seulement très précisément, mais aussi clairement plus négativement que les témoins exclusivement allemands et autrichiens (parmi lesquels quelques déportés en fonction), qui furent interrogés de 20 à 30 ans plus tard par le bureau central de l’administration judiciaire régionale. Ainsi n’y aurait-il eu à Altenhammer, d’après les dires du témoin Franz K. de 1967, aucun homicide volontaire de déportés en dehors des « habituels sévices ».4 Par contre, les dires de témoins étrangers, les sévices infligés par le chef de kommando Heerde ou le kapo Edmund Wissmann entraînaient la mort.5 Aussi bien Heerde que Wissmann, qui faisait office de secrétaire du kommando, auraient frappé les déportés à mains nues ou avec un tuyau de caoutchouc, au moindre délit, très souvent sur la base de dénonciations faites par des employés civils. On aurait transporté au camp central les blessés graves et les morts avec le camion qui apportait la nourriture de Flossenbürg.

D’après les témoignages de déportés, le typhus se propagea à Altenhammer au printemps 1945, en raison des conditions d’hygiène catastrophiques. Par exemple, le linge ne fut pas changé pendant plus de 6 semaines, si bien que les vêtements étaient pleins de poux. En janvier et février, on transporta les déportés, par groupes, le dimanche, prendre une douche, à Flossenbürg, où ils pouvaient, le cas échéant, retirer des bons pour la cantine. Le commandant en chef de la Luftwaffe aurait fait cesser ces mesures à cause du temps de tarvail perdu.6 En peu de semaines beaucoup de déportés moururent du typhus (d’après certaines informations jusqu’à 200) ; pour Altenhammer 45 décès sont mentionnés dans les registres, mais on sait qu’avec le chaos de la dissolution du camp tous les morts ne furent pas inscrits.7 La situation alimentaire était navrante, mais d’une certaine façon meilleure qu’au camp central, d’après le déporté français Henri Margraff, les déportés avaient, le matin, 150 grammes de pain, le déjeuner était pris sur les lieux de travail, et, le soi, les hommes avaient une tartine de pain et un peu de saucisse. C’était le camp central qui envoyait les repas. Quelques témoins racontent aussi que des employés civils leur donnaient du pain.

On dispose de peu d’informations sur l’ampleur du travail effectué à Altenhammer. On suppose que l’objectif quotidien de production était de six avions, les témoins parlent aussi d’un grand nombre de pièces exécutées, y compris de moteurs. Néanmoins, le manque de main d’œuvre qualifiée parmi les déportés limitait la production, même un échange avec les kommandos énormes de Messerschmitt du camp central, vers la fin de la guerre, n’obtint guère plus de résultat. En raison de la proximité et de l’épidémie croissante de typhus, de petits groupes de déportés étaient ballotés du camp central à Altenhammer et vice versa, les uns après les autres.

547 déportés durent travailler pour le kommando Ambos, le 1 mars 1945 ; le maximum fut atteint deux jours plus tard avec 552 déportés. En même temps, 66 déportés étaient incorporés au kommando Stich. Dans les rapports de main d’œuvre du 13 avril 1945 sont inscrits 419 déportés. La majorité était composée de 250 déportés polonais, dont 100 juifs. 150 déportés russes, 100 Tchèques, 50 Allemands, 40 Français et 40 Italiens étaient enfermés à Altenhammer avec des hommes venant de huit autres pays.

Vers la fin de la guerre, comme le camp central de Flossenbürg était archi plein à cause de l’arrivée incessante de convois qui évacuaient les autres camps, des groupes de 30 à 40 déportés furent envoyés plusieurs fois à Altenhammer – ce qui correspondait à une condamnation à mort, vu les conditions de vie. Le 16 avril, le camp extérieur d’Altenhammer fut dissous ; les déportés furent renvoyés dans le camp central, et allèrent immédiatement dans les blocks de quarantaine. Manifestement, les déportés allemands au moins, restèrent pour la plupart dans le camp abandonné, qui fut délivré le 23 avril 1945 par les troupes américaines.

Il y avait comme troisième kommando à Altenhammer la « section scientifique » ou « centre de recherche ».8 A l’initiative du plus haut chef de la SS et de la police dans le gouvernement général, SS Obergruppenführer Wilhelm Koppe, des kommandos de mathématiciens, chimistes, ingénieurs et inventeurs avaient été constitués avec des scientifiques juifs polonais au printemps 1944 dans le camp de concentration de Plaszow. Le kommando de chimistes – tout comme ceux d’ingénieurs et d’inventeurs – furent déplacés à Flossenbürg à la mi-octobre à cause de l’avancée de l’Armée Rouge. Une partie du kommando d’inventeurs retourna à la mi-novembre 1944 à Cracovie ; les chimistes restèrent à Flossenbürg ; en avril 1945, ils étaient 22 déportés.

Les chimistes – sous les ordres de l’Oberkommando de la Marine et du Kaiser-Wilhelm-Institut pour la chimie physique et l’électrochimie- travaillaient à Flossenbürg à un appareil.

E02, vraisemblablement un filtre de protection contre les gaz. La direction SS des travaux à Flossenbürg avait prévu spécialement pour les scientifiques un « établissement d’expériences scientifiques » sur la route de Flossenbürg à Silberhütte, qui devait avoir un transformateur, et, entre les murs de l’enceinte, un bâtiment pour l’hébergement, un laboratoire et un bunker.9 Mais ces projets ne se réalisèrent jamais. Au lieu de cela, la SS-WVHA demanda la construction de ce bâtiment à Altenhammer. Là, les déportés dressèrent des baraquements pour la direction SS des travaux et effectuèrent les travaux de maçonnerie nécessaires.10 Dans la dernière répartition du travail du 13 avril 1945, sont encore inscrits 23 déportés de la direction SS du travail, comme actifs à « l’institut Altenhammer ».
Henry Orenstein parle de ses deux frères, Fred et Felek Orenstein, enrôlés dans le kommando de chimistes, qui furent envoyés, à la mi-avril 1945, à Dachau avec un convoi d’évacuation. Lors d’une des nombreuses attaques aériennes, Felek Orenstein fut blessé et abattu par la SS, ainsi que 130 autres déportés «  incapables de marcher ». Les autres déportés furent libérés quelques jours plus tard par les troupes américaines. L’institut de recherches a dû donner à la mission américaine ALSOS, une délégation de scientifiques sous la direction du physicien Samuel Goudsmit, l’occasion de chercher à Flossenbürg des preuves de ces recherches.

Le ministère public de Weiden suspendit les enquêtes en juin 1968, car on ne pouvait démontrer clairement les actions ayant entraîné la mort dans le camp extérieur de Altenhammer. Les baraquements des déportés furent démolis aussitôt après la guerre et le terrain utilisé pendant un certain temps pour stocker du bois. Après la guerre, le bâtiment de l’institut de recherches scientifiques fut utilisé avec peu de succès par différentes entreprises chimiques et métallurgiques et démoli en 1981.

1 Schreiben Stichs, 21.1.1942, in: BArch Berlin, NS 4/FL.345.
2 Schreiben der Kommandantur, 10.4.1942, in: ebenda.
3 Arbeitseinteilung vom 13.4.1945 in: BArch Ludwigsburg, ZstL IV 410 AR-Z 58/68.
4 Aussage Franz K., 2.6.1967, in: ebenda.
5 Vgl. Zu Wissmann Aussagen von Henri Margraff und Henryk Fischer im Verfahren US vs. Wilhelm Loh et al.000-50-46-1, NARA (Kopien in: AGFl); zu Heerde Aussagen von Leo Bodenstein und Oskar Rosenburg im Verfahren US vs Heerde et al., 000-50-46-3, NARA (Kopien in: AGFl).
6 Aussage Josef H., 31.5.1967 in: BArch Ludwigsburg, ZstL IV 410 AR-Z 58/68.
7 NARA, RG, 338, 290/13/22/3,000-30-46, Box537 (Kopie in: AGFl).
8 Bernhard Strebel/Jens-Christian Wagner, Zwangsarbeit für Forschungseinrichtungen der Kaiser-Wilhelm- Gesellschaft 1939-1945. Ein Überblick, hrsg von Carola Sachse und Susanne Heim im Auftrag der Präsidentenkommission der Max-Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften e. V., Göttingen 2003, S. 62-65.
9 Lageplan und Detailpläne, in : BArch Berlin, NS 4/FL.165.
10 Antrag der SS- Bauleitung auf Rücküberstellung von Maurern von Kommando Altenhammer-Forschungsanstalt nach Beendigung der Arbeiten, 6.1.1945, in: ebenda, NS 4/FL.391.

Littérature
Bernhard Strebel/Jens-Christian Wagner, Zwangsarbeit für Forschungseinrichtungen der Kaiser-Wilhelm- Gesellschaft 1939-1945. Ein Überblick, hrsg von Carola Sachse und Susanne Heim im Auftrag der Präsidentenkommission der Max-Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften e. V., Göttingen 2003, S. 62-65.
Henry Orenstein, I shall live. Surviving the Holocaust 1939-1945, Oxford 1988.

Ulrich Fritz

Extrait de l’ouvrage de Wolfgang Benz et Barbara Distel « Der Ort des Terrors » p.61,62,63,64
Traduit de l’allemand par Nadine Goujon le 1 juillet 2014.

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